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Le rapport de l'Institut Pasteur
(24/04/2020)
(mise à jour 01/05/2020)



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Après l'Inserm, c'est au tour de l'institut Pasteur de publier le 20 avril son rapport sur les stratégies à adopter à la fin du confinement, sous le titre « estimer le poids du SARS-CoV-2 en France ». C'est une prépublication, publiée en anglais dans sa version 3.7 sur les archives ouvertes de l'Institut, donc pas encore soumise à publication dans une revue scientifique, mais elle a fait l'objet d'un communiqué de presse et elle a été de ce fait largement commentée et prise en compte.

Il s'agit donc essentiellement d'estimer le taux d'immunité de la population, c'est-à-dire le pourcentage de Français qui ont contracté le virus, qu'ils soient actuellement contagieux ou qu'ils soient guéris et immunisés. Je traduis le résumé, qui donne ses principales conclusions :

La France a été lourdement affectée par l'épidémie de SARS-CoV-2 et est entrée en confinement depuis le 17 mars 2020. À l'aide de modèles appliqués aux données sur les hôpitaux et la mortalité, nous estimons l'impact du confinement et l'immunité actuelle de la population. Nous trouvons que 2,6% des individus contaminés sont hospitalisés et que 0,53% meurent, un taux allant de 0,001% pour les moins de 20 ans à 8,3% pour le plus de 80 ans. Pour tous les âges, les hommes sont plus susceptibles que les femmes d'être hospitalisés, d'avoir besoin de soins intensifs, ou de mourir. Le confinement a réduit le taux de reproduction du virus de 3,3 à 0,5 (réduction de 84%). Pour le 11 mai, date à laquelle les restrictions devraient être allégées, nous estimons que 3,7 millions (intervalle 2,3 à 6,7) de personnes, soit 5,7% de la population, auront été contaminées. L'immunité populationnelle apparaît insuffisante pour éviter une seconde vague si toutes les mesures de contrôle sont abandonnées à la fin du confinement.

Et un peu plus loin, on nous explique comment on en est arrivé à ces conclusions :

Jusqu'au 14 avril 2010, 71 903 hospitalisations dues au SARS-CoV-2 ont été rapportées en France et 10 129 morts ont été enregistrés dans les hôpitaux, avec l'est du pays et la capitale, Paris, particulièrement impactés. L'âge moyen des patients hospitalisés est de 68 ans et l'âge moyen des personnes décédées est de 79 ans, avec 50% des hospitalisations chez les personnes de plus de 70 ans et 86% des morts au-delà de cet âge [...] Les données relatives aux hospitalisations et aux décès concernent uniquement les infections les plus sévères. Pour reconstituer la dynamique de toutes les infections, y compris les bénignes, nous les avons croisées avec les données documentant le risque de décès chez les personnes contaminées par le SARS-CoV-2, provenant d'une enquête détaillée sur une épidémie à bord du navire de croisière Princess Diamond, où tous les passagers ont ensuite été testés (712 contaminés et 13 morts). En couplant les données de surveillance passive des hôpitaux français avec la surveillance active effectuée à bord du Princess  Diamond, nous pouvons déduire le risque d'aller à l'hôpital de la probabilité sous-jacente de contamination.

En résumé, le problème est qu'on ne sait pas quel est le nombre total de personnes qui ont été contaminées en France, on sait juste quelle est la proportion de ceux qui meurent ou qui sont hospitalisés en fonction notamment de leur âge et de leur sexe. Sur le Princess Diamond, par contre, on sait combien de personnes sont mortes par rapport au nombre de personnes contaminées : 13 morts sur 712 contaminés, soit un taux de 1,8%, qui est pour une bonne part à l'origine de cette légende que la maladie serait mortelle dans 2% des cas. Mais sur un navire de croisière, l'âge moyen des passagers est bien plus élevé que dans l'ensemble de la population, et on savait donc dès le début que ce taux était très exagéré, mais tellement pratique pour affoler la population et lui faire accepter les pires privations de liberté sous prétexte d'état d'urgence sanitaire !

Et donc, ce qu'a fait l'Institut Pasteur, c'est croiser ces données avec les pourcentages de morts observés à l'hôpital selon leur âge, puis avec la distribution des âges au sein de la population, pour en déduire le taux de létalité de la maladie.

Vous allez mieux comprendre avec ce tableau :

Tranche d'âge Nombre Taux de létalité Morts attendus Létalité Lancet Morts attendus
0-9 1 0,001% 0,00006 0,00161% 0,0000161
10-19 5 0,00695% 0,0003475
20-29 28 0,007% 0,00196 0,0309% 0,008652
30-39 34 0,02% 0,0068 0,0844% 0,028696
40-49 27 0,05% 0,0135 0,161% 0,04347
50-59 59 0,2% 0,118 0,595% 0,35105
60-69 177 0,8% 1,416 1,93% 3,4161
70-79 234 2,2% 5,148 4,28% 10,0152
80-89 52 8,3% 4,482 7,8% 4,212
90-99 2
Total 619 (712) 0,53% 11,18632 (12,867) 0,657% 18,076 (20,79)

La deuxième colonne indique le nombre de passagers de chaque tranche d'âge, pour un total de 619 dont l'âge était connu. La troisième colonne indique le taux de létalité estimé par l'Institut Pasteur, en calculant pour chaque tranche d'âge le nombre de morts par rapport au pourcentage de la population concernée, et en multipliant par un facteur unique déterminé pour obtenir dans le total de la colonne suivante le nombre de morts des passagers du Princess Diamond. Et donc, dans la colonne suivante, on multiplie le taux de létalité par le nombre de personnes de la tranche d'âge, et on obtient le « nombre de morts attendu », et en faisant le total on arrive à 11,2 morts, qu'on multiplie par 712/619 pour tenir compte des passagers dont on ne connaît pas l'âge, et on arrive à 12,867 morts, soit pratiquement les 13 morts qu'il y a eu réellement (la petite différence doit provenir d'erreurs d'arrondi). On ne doit pas s'en étonner puisque le facteur multiplicatif commun pour obtenir les taux de létalité a été choisi justement pour arriver à ce résultat, mais ça permet de vérifier que c'est bien comme cela, avec peut-être quelques subtilités supplémentaires, que le modèle mathématique de l'Institut Pasteur procède.

Ensuite, en ayant le taux de létalité de chaque tranche d'âge et la représentation de chacune dans la population, il est facile de trouver un taux de létalité moyen, de 0,53%. Et c'est ce chiffre qui détermine ensuite le calcul du taux d'immunité de la population, on va y revenir.

Remarquons donc que tous ces calculs reposent sur les treize morts des passagers d'un navire de croisière sur lequel l'épidémie s'est propagée au début février, il y a deux mois et demi... C'est donc un échantillon très faible, et qui concerne des patients soignés alors qu'on était confrontés depuis très peu de temps à cette maladie. Il ne serait donc pas surprenant que les hôpitaux aient appris avec l'expérience à traiter un peu mieux les patients, et fait diminuer assez sensiblement le taux de létalité... C'est bien ce que les données observationnelles récentes suggèrent.

D'autre part, la revue The Lancet avait publié à la fin mars une autre estimation des taux de létalité par tranche d'âge, j'ai donc employé les mêmes techniques avec ses chiffres pour comparer les résultats. Cela fait l'objet des deux dernières colonnes.

On trouve un nombre de morts attendus de 20,79, alors qu'il devrait y en avoir 13. C'est donc que tous les taux de létalité sont à corriger pour arriver à la bonne valeur (rappelons que depuis le début, on a tendance à réviser à la baisse le taux de létalité de cette maladie, et c'est bien normal du fait qu'on sait que beaucoup de personnes atteintes ne sont pas détectées). On trouve donc un taux de létalité global égal à 0,657 × 13 / 20,79 = 0,41%... En tenant compte de la probable amélioration des techniques de prise en charge des patients en deux mois, on devrait se rapprocher des 0,3% que je n'ai pas choisis comme slogan sans raison !

Bref, après son estimation du taux de létalité à 0,53%, l'Institut Pasteur s'en sert pour arriver au taux d'immunité, qu'il estime toucher d'ici le 11 mai seulement 5,7% de la population soit 3,7 millions de Français. Mais donc si on prend les données du Lancet on trouve respectivement 7,4% et 4,8 millions, et avec un taux de létalité de 0,3% on arrive à 10,1% et 6,5 millions... Le dixième de la population, ça commence à ne plus être du tout négligeable !

Mais il y a encore quelque chose qui m'a interpellé... En divisant le nombre de personnes ayant contracté le virus, donc 3,7 millions, par le taux de létalité, on doit trouver le nombre de morts... En fait, ça sera même le nombre de morts 19 jours plus tard, puisqu'il s'écoule en moyenne 19 jours entre le moment où on contracte la virus et le moment ou on en meurt (quand on en meurt bien sûr, ce qui est heureusement très rare !) Donc puisque l'Institut Pasteur estime le taux d'immunité pour le 11 mai, ça doit correspondre au nombre de morts le 30 mai. On multiplie donc 3,7 millions par 0,53%, et on trouve 19 610 morts pour la date du 30 mai... Ce qui pose un problème, puisqu'on est déjà à 22 245 morts au 24 avril et qu'il y a encore quelque 500 morts par jour. Le nombre de morts quotidiens va certes baisser peu à peu tant qu'on maintiendra les mesures imposées, mais il y en aura sûrement encore environ 10 000 d'ici au 30 mai, portant le total à quelque 32 000. On est donc bien loin des 19 610 !

Il ne s'agit pas d'une erreur de calcul de l'Institut Pasteur, et on trouve l'explication dans le rapport :

Nous excluons la population des maisons de retraite (N = 730 000 individus, principalement des personnes de plus de 70 ans et 74% de femmes), car il y a eu un certain nombre de foyers dans ces communautés fermées et le risque sous-jacent d'infection dans ces endroits n'est probablement pas le même que celui de la population en général. Les décès dans ces communautés ne sont pas consignés dans les dossiers des hôpitaux.

[...]

Il y a aussi des morts du covid-19 hors de l'hôpital. Par exemple il y a eu plus de 6000 morts hors hôpital dans les maisons de retraite en France. Nous avons explicitement exclu ces communautés de nos analyses du fait que la dynamique de transmission peut être différente dans ces communautés fermées, par conséquent ça ne doit pas affecter nos estimations de l'immunité dans la population générale. Un nombre supplémentaire de morts hors hôpitaux peut aussi se produire, auquel cas nous aurons sous-estimé la proportion de contaminés.

On peut comprendre le raisonnement : les personnes contaminées dans les maisons de retraite ont peu de chances d'avoir une quelconque influence protectrice sur la population hors de ces établissements. Et vu que les décès dans les maisons de retraite représentent plus du tiers des décès (au 24 avril, il y eu 13852 décès à l'hôpital, et 8393 en ehpad) on tombe à peu près sur les bons chiffres. L'Insitut Pasteur élimine aussi les décès survenus dans les territoires d'outremer, pour des raisons tout à fait compréhensibles. Du fait de ces différentes communautés exclues des statistiques, la population de la France est considérée égale à 65 millions de personnes, au lieu de 66,7. Par contre, le rapport note avec raison qu'il doit y avoir d'autres décès non comptabilisés qui se produisent à domicile, et on savait depuis longtemps que ça ne serait pas négligeable, mais une étude du syndicat de médecins MG France l'a confirmé. Le nombre de ces décès avoisinerait les 9000 à la date du 18 avril, soit 10400 en extrapolant au 24 avril, portant à 24200 le nombre de décès hors ehpad, ce qui amènerait à 34000 morts l'estimation pour le 30 mai, et donc 6,4 millios de personnes immunisées le 11 mai.

Mais la non prise en compte des décès en maison de retraites pose un autre problème : si on les considère comme une communauté à part qui doit être éliminée des statistiques, il faut aussi les exclure de la pyramide des âges de la population française... Or, on a vu que cette pyramide (le nombre de personnes dans chaque tranche d'âge) a été utilisée pour estimer le taux de létalité moyen : on fait des statistiques sur le nombre de décès constatés à l'hôpital pour chaque tranche d'âge, par rapport au total des personnes hospitalisées, et ensuite on reporte cela sur les pourcentages de personnes de chaque tranche dans l'ensemble de la population française. Et si on ne tient pas compte du fait qu'on a éliminé des statistiques une bonne part de la population la plus âgée, celle qui représente justement le maximum de morts, on fausse sensiblement ce calcul ! Sans trop chercher la précision (je ne suis pas payé pour ça), on peut supposer que les 730 000 résidents des maisons de retraite sont principalement des personnes âgées de plus de 80 ans, celles qui ont 16 fois plus de probabilité de mourir du covid-19 que la moyenne de la population, et qui représentent 60% des morts de cette maladie... La tranche des plus de 80 ans représente 5,8% de la population, donc 3,9 millions de personnes en France ; les 730 000 résidents en maisons de retraite représentent donc 19% de cet effectif... On peut donc s'attendre que les exclure des statistiques fasse diminuer de 0,19 × 0,6 = 11% le taux de létalité moyen, ce qui n'est pas négligeable : ça nous amène à 0,47% au lieu de 0,53% avec les chiffres de l'Institut Pasteur, ou 0,36% au lieu de 0,41% avec ceux du Lancet. Et je doute que l'Institut Pasteur ait tenu compte de cela, sans quoi ses chiffres seraient encore plus éloignés de ceux du Lancet.

En tenant compte de tout cela, je parierai toujours sur plus de 10 millions de personnes contaminées en France, et pas 3,7... On devrait dans tous les cas être rapidement fixés, puisque les campagnes de tests appliqués à tout un panel de populations commencent enfin à être effectuées un peu partout, y compris avec des tests sérologiques.

Le rapport de l'Insititut Pasteur indique en conclusion :

En supposant un taux de reproduction de base de R0=3,3, il faudrait qu'environ 70% de la population soit immunisée pour que l'épidémie soit contrôlée par la seule immunité. Nos résultats suggèrent donc fortement que, sans vaccin, l'immunité de groupe ne suffira pas à elle seule à éviter une deuxième vague à la fin du confinement. Des mesures de contrôle efficaces doivent être maintenues au-delà du 11 mai.

Notons que plusieurs études récentes suggèrent que le R0 a été sous-estimé, et qu'il s'approcherait plutôt de 6... Et un R0 plus élevé implique qu'on a encore sous-estimé le nombre de personnes ayant été contaminées.

Mais je trouve surtout un peu ahurissant qu'on s'étonne que l'on soit encore loin de l'immunité de groupe, même si c'est sûrement moins que ce que ce rapport suggère, alors que le confinement et toutes les mesures de distanciation sociale qui vont avec ont eu justement pour but de limiter fortement la propagation du virus ! Il est bien évident qu'on n'atteindra jamais l'immunité de groupe si on cherche absolument à maintenir le taux de reproduction de l'épidémie en dessous du seuil de 1, puisque ça veut dire justement qu'i y a de moins en moins de virus en circulation... Et il n'a jamais été question que « l'immunité de groupe suffise à elle seule à éviter une deuxième vague », puisqu'il est tout à fait absurde de vouloir l'atteindre en plein confinement ! Le confinement avait pour but de ralentir l'épidémie afin d'éviter la saturation de notre système hospitalier (c'est en tout cas comme ça qu'il nous avait été « vendu », il s'agissait « d'aplatir la courbe »)... Si on le prolonge au-delà de cette seule volonté on renonce de facto à atteindre l'immunité de groupe !

Il faut donc choisir entre tenter de stopper ou de maîtriser l'épidémie et conserver des mesures de lutte qui passeront maintenant par une tentative de pistage systématique de toutes les personnes testées positives et de toutes celles qu'ils ont approchées pendant les jours et semaines précédents pour recommencer avec elles, et continuer cela jusqu'à ce que l'on dispose d'un vaccin, ou bien accepter le fait que l'on doive compter sur l'immunité de groupe pour être débarrassés du virus, et dans ce cas changer radicalement de méthode. Mais faire semblant de vouloir arriver à l'immunité de groupe tout en faisant tout pour l'interdire, c'est simplement mentir au peuple, et il est regrettable qu'une institution telle que l'Insitut Pasteur se prête à de telles manipulations médiatiques !

Robert Alessandri




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